Le Chiffre d’Affaires: Peut-on dire que le secteur de l’eau a connu une évolution appréciable ?
Messaoud Terra : La politique de l’eau prônée par l’Etat permet aujourd’hui à satisfaire pratiquement l’ensemble de la population algérienne. Mais il faut dire, qu’entretemps, le secteur est passé par plusieurs étapes. Je vais donner quelques indicateurs: l’Algérie en 1962, avec une population de neuf millions d’habitants, était essentiellement rurale. Plus de 80% des algériens habitaient dans les zones rurales où l’accès à l’eau potable tel que nous connaissons aujourd’hui était inexistant.
L’alimentation en eau potable ne concernait donc que les zones urbaines et les sites coloniaux. Le reste des algériens devait se débrouiller pour boire, se nourrir, se laver ou entretenir son petit lopin de terre. Nos concitoyens de l’époque allaient chercher leur eau dans des fontaines ou ces sources traditionnelles qui existaient dans chaque village du pays. On n’était pas donc dans les normes universelles. On peut dire que cette situation a perduré jusqu’en 1970, année d’un véritable démarrage du secteur.
Vous voulez dire que le vrai démarrage a eu lieu en 1970 ?
Absolument. En 1970 est né le Secrétariat d’Etat à l’Hydraulique. C’était la première fois que le secteur relevait d’un ministre, compte tenu de l’accroissement de la population et les besoins que celle-ci exprimait en matière d’eau potable. La prise en charge des préoccupations des citoyens devait aboutir aussi à la création de la Sonade, Société chargée de la distribution d’eau potable à travers le pays. Malheureusement, cette société ne pouvait se développer à l’intérieur du pays parce que les communes estimaient que la mission de distribution était de leur seul ressort. Ce qui a engendré, deux ans après la création de Sonade, c’est-à-dire en 1974, à une restructuration. Sonade devait s’occuper uniquement de la production. Quant à la distribution, elle relevait aux communes conformément aux désidératas de celles-ci. Les pouvoirs publics estimaient à l’époque que cette manière de faire était correcte en attendant bien sûr d’aller vers une meilleure organisation.
Comment était organisée la gestion de l’eau pour la capitale ?
La capitale répondait à un autre schéma avec la création de Sedal, une société de distribution d’eau potable d’Alger spécialement dédiée à Alger. En même temps, c’est-à-dire en 1983, on a entrepris la fameuse restructuration des entreprises publiques à l’échelle nationale, et la Sonade qui n’était pas en reste, a donné naissance à 13 établissements de distribution régionaux. Chaque établissement prenait en charge deux à trois wilayas. Juste après, c’est-à-dire en 1987, il fallait passer à une autre restructuration, entre autres, des entités publiques régionales pour la prise en charge des plus importantes wilayas, et la mise en place de 26 entreprises de l’eau dans autant de wilayas et placées sous l’autorité du wali. Cette situation est restée telle jusqu’à l’année 2000.
L’année 2000 était-elle celle des grands changements ?
Effectivement. Avec l’expérience acquise sur presque deux décennies, à savoir de 1983 à 1999, et vu les cycles de sécheresse qu’a connu l’Algérie et les fréquentes pénuries d’eau, l’Etat a décidé de mettre le paquet en renforçant le secteur, par la création de deux établissements publics à savoir l’Algérienne des eaux (ADE) pour la production et la distribution de l’eau potable et l’ONA (Office national pour l’assainissement) pour l’assainissement. Il faut préciser que le service de l’assainissement était totalement délaissé du fait que ce secteur a toujours été à la charge des communes, et ce jusqu’à 2001 date de création de ces deux Epic. Il ne faut pas oublier que depuis 2001, l’Etat a investi plus de 25 milliards de dollars pour le secteur de l’eau. Une enveloppe qui a permis au pays de construire des dizaines d’infrastructures, entre barrages, usines de dessalement d’eau, retenues collinaires, ou encore le mégaprojet In Salah-Tamanrasset.
Pensez-vous que le nombre de barrages est suffisant pour sécuriser le pays ?
La France coloniale a laissé 13 petits barrages derrière elle, dont la majorité était concentrée à l’Ouest pour irriguer les grands périmètres coloniaux. En tout, la capacité de ces barrages était de l’ordre de 430 millions de mètres cubes. L’équivalent d’un de nos nombreux barrages actuellement en activité. A l’heure actuelle, le secteur des ressources en eau compte 70 barrages de grande et moyenne envergure, avec une capacité de 7 milliards de mètres cubes. Cela dit, les chantiers ne s’arrêtent pas puisque quatre barrages seront réceptionnés au courant de 2013 dont deux à Sétif et les deux autres à Oum El Bouaghi et Khenchela. Et dès l’année prochaine, précisément, le «parc» sera doté de 84 barrages totalisant une capacité globale de 8,9 milliards de mètres cubes. En outre, la construction de deux barrages sera lancée à Batna et Tarf cette année, alors qu'en 2012, deux barrages ont été lancés à Souk Ahras et Tizi Ouzou.
Le taux de remplissage est-il donc appréciable, sécurisant ?
Le taux de remplissage des 65 barrages en exploitation en Algérie a atteint 81%, un record jamais atteint en Algérie depuis plusieurs décennies. Comme signalé par l’Agence nationale des barrages, ce taux représente une quantité d’eau de 5,55 milliards de m3 emmagasinée au 21 mars, en hausse de 8,46% par rapport à la même période de 2012. Il faut dire qu’au total, 17 barrages à travers le pays sont totalement remplis dont celui de Beni Haroun (Mila), le plus grand barrage en Algérie avec une capacité d’un milliard de m3. A l’Est du pays, qui a connu le taux de remplissage le plus élevé avec une moyenne de 87%, huit barrages sont déjà remplis à 100%. Il s’agit principalement des barrages de Mexa à Tarf (30 millions m3), de Boussiaba et Kissir à Jijel avec respectivement 120 millions et 68 millions de m3. La ressource est donc disponible, Dieu merci. Hormis la consommation domestique et industrielle, l’agriculture sera aussi assez bien servie. Je n’omettrai pas de signaler l’apport des usines de dessalement, installées sur une bonne partie de notre littoral et qui contribuent aussi énormément à la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable. Par ailleurs, je dois également souligner que pas moins de 157 projets de grande et petite hydraulique ont été lancés en 2013, et portent sur l’adduction d’eau potable en faveur de plusieurs communes, le dessalement d’eau de mer et l’assainissement. Je peux donc rassurer mes compatriotes que l’année 2013 est sécurisée, et pour les régions de l’Est, il est possible d’assurer une sécurité en eau potable sur plusieurs années.
Et le sud du pays ?
Grâce à l’albien, cette nappe de 40 000 mille milliards de mètres cubes, l’Algérie est aujourd’hui en mesure de répondre à la demande de toute agglomération du Sud. Que ce soit l’approvisionnement en eau potable pour les citoyens ou pour l’agriculture, Dieu merci, nous sommes à l’abri. A l’aide des forages, notamment, on peut dire que la quasi-totalité des localités du Sud sont pourvues d’eau potable. Je ne peux parler du sud sans évoquer le méga projet de transfert d’eau «In Salah-Tamanrasset». Pour sécuriser Tamanrasset, l’Etat n’a pas hésité d’opter pour une option qui consiste à transférer l’eau d’In Salah à cette ville de l’extrême sud du pays, soit 750 km. Le méga projet est conçu pour répondre à la demande de l’eau en prenant compte de l’évolution de la population locale pour 40 ans à venir. Ce projet de transfert est destiné à couvrir le besoin des habitants à l’horizon 2050 avec une dotation de l’ordre de 250 litres/jour (l/j) à une population qui passera, selon les estimations à 400 000 habitants.
La formule de la gestion déléguée confiée aux étrangers est-elle bénéfique au secteur, ou, au contraire, serait-il temps que les algériens reprennent le management des sociétés concernées comme la Seaal (Alger), la Seor (Oran) et la Seaco (Constantine) ?
Il ne faut pas oublier que ce secteur relève du secteur public. Ces sociétés appartiennent totalement à l’Etat algérien par l’entremise de l’ADE et de l’ONA. Les étrangers ne s’occupent que de la gestion avec des obligations de résultats. Par exemple la Seaal, Société des eaux et de l’assainissement d’Alger, est gérée par des cadres de Suez Environnement, suivant un contrat de management signé avec les autorités algériennes. Cette formule est appelée également gestion déléguée. L’accord a été signé en mai 2006. D’une durée de cinq ans, le contrat qui a été reconduit en 2011 vise à assurer une distribution continue de l’eau dans toute la wilaya d’Alger. En d’autres termes, tous les habitants d’Alger doivent recevoir de l’eau en H24. Parmi les objectifs du contrat, figure également la réduction des fuites d’eau. A l’époque où l’accord a été passé, le taux de déperdition atteignait les 40%. Cela étant dit, Suez est tenu de préparer la relève et devra passer un jour la main à des cadres algériens qui assureront la gestion du réseau de distribution d’Alger.
A-t-on atteint les normes internationales en matière d’accessibilité d’eau potable ?
Pas moins de 94% de la population algérienne est raccordée à l’eau potable. Ce taux dépasse les critères de l’ONU et de la Banque mondiale qui estime que 2,6 milliards de personnes, soit 40% de la population mondiale, n’ont pas accès à des installations sanitaires améliorées. Dites-vous bien que notre pays figure en pôle position dans ce domaine dans le monde. L’eau coule dans les robinets chez l’écrasante majorité des Algériens au moment où les critères d’accessibilité d’eau potable arrêtés par l’ONU stipulent que l’on a de l’eau même si les gens se déplacent jusqu’à 10 km de chez-eux pour l’avoir. Donc nous sommes en deçà, et de très loin, de la norme internationale, et ce grâce à la politique prônée par l’Etat à ce secteur.
Entretien réalisé par
Sid Ahmed Sahnoun
Repères
L’albien: une réserve de 40 000 milliards de m3
Les réserves en eau potable du Sahara sont estimées à 40 000 milliards de m3. Selon les experts, il existe dans le Sahara deux sortes de gisements d’eau: un «albien terminal» et un «albien intercalaire». L’albien terminal qui se trouve entièrement dans les régions de Tidikelt, El-Menéa, Adrar et Ghardaïa, contient des eaux pures qui se trouvent à de petites profondeurs de la surface.
L’albien: possible raccordement du Nord
L’exploitation de l’eau de ce gisement n’est pas onéreuse et peut même être destinée à l’approvisionnement des villes du Nord, particulièrement Alger, située à 500 kilomètres de ce gisement. Le deuxième gisement «albien intercalaire» s’étend sur une superficie de 7 000 km² et englobe outre l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Il contient des eaux profondes et chaudes qui sont actuellement exploitées depuis 1991 par la Libye. En 1984, ce pays avait lancé un ambitieux projet pour la réalisation d’un grand fleuve artificiel pour acheminer l’eau de ce gisement vers les régions du Nord.
Investissements: 15 milliards de dollars pour 2010-2014
L’Algérie a prévu d'investir plus de 15 milliards de dollars dans l'eau entre 2010 et 2014, avec notamment 19 nouveaux barrages, des stations de dessalement et des réseaux de transfert, et a lancé la construction depuis 2004 de 15 stations de dessalement d'eau de mer pouvant produire près de 2,3 millions de m3/jour, et confié la gestion de l'eau des grandes villes à des opérateurs étrangers.
Ressources mobilisables
Les ressources hydriques disponibles et mobilisables en Algérie sont estimées à 17,2 milliards m3, dont 12 milliards de ressources superficielles dans le Nord, 2 milliards de ressources souterraines (Nord) et 5,2 milliards m3 dans le Sud (superficielles et souterraines).
Réseau d’eau potable: 94% de la population reliée
Pas moins 94% de la population algérienne a aujourd'hui accès à l'eau potable, contre 35% à l'indépendance du pays en 1962. En 1962, seuls les Français qui étaient là pouvaient disposer d'une quantité quotidienne ne dépassant pas 80 litres par habitant.
1962: 13 barrages. 2013: 71 barrages
L’Algérie, dont la population a atteint 37 millions d'habitants, dispose de 71 barrages hydrauliques pouvant mobiliser 7,4 milliards de m3 d'eau. A l’indépendance, l'Algérie disposait de 13 petits barrages d'une capacité de 454 millions de m3 pour une population totale de 9 millions d'habitants.
Gestion déléguée: Trois opérateurs étrangers
En 2011, le gouvernement a décidé de reconduire pour une durée de cinq ans le contrat du français Suez Environnement pour la gestion des eaux d'Alger, «car l'opérateur a ramené le taux de déperdition de l'eau de 30% à 17%». Quant à la distribution de l'eau à Oran (la grande ville de l'Ouest algérien) se fait par l'espagnol Agbar (détenue à 75% par Suez) et celle de Constantine (400 km à l'Est d'Alger), est gérée par la Marseillaise des eaux.
Ressources mobilisables
Les ressources hydriques disponibles et mobilisables en Algérie sont estimées à 17,2 milliards m3, dont 12 milliards de ressources superficielles dans le Nord, 2 milliards de ressources souterraines (Nord) et 5,2 milliards m3 dans le Sud (superficielles et souterraines).
lire ici l'article original publié sur le quotidien national le chiffre d'affaire du 14/04/2013
Un blog pour discuter de la gestion de l'eau en Algérie. Le site est ouvert à tous afin de débattre où de s’exprimer sur le sujet. J’espère que vous trouverez l’information que vous cherchez, un blog à lire…
dimanche 14 avril 2013
Messaoud Terra, directeur de l’eau potable au Ministère des Ressources en eau: «L’Etat a alloué 25 milliards de dollars pour que l’eau soit accessible à tous les Algériens »
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